La nouvelle réglementation européenne relative au reporting ESG place les entreprises devant un grand défi. Ce reporting exige une collaboration étroite entre plusieurs départements, ce qui nécessite souvent de faire appel à une main-d’œuvre et à des talents organisationnels supplémentaires. Un contexte dans lequel le département financier peut jouer un rôle crucial. Mario Matthys, Expert Practice Leader Corporate Reporting chez TriFinance CFO Services, en a discuté avec Jan Van de Meersch et Jean-Paul Corin, respectivement Chief Sustainability Officer et HR Director de la medtech Duomed, établie à Aartselaar.
Duomed est un distributeur européen de référence dans le secteur des appareils médicaux. L’entreprise est spécialisée dans les équipements pour l’endoscopie, la chirurgie, les soins critiques, l’imagerie médicale, le monitoring des patients et la prévention des infections. Elle propose une solution globale qui combine des appareils médicaux, des accessoires, un service technique, une intégration IT, un apprentissage clinique et une formation.
"Nous avons commencé à investir dans l’ESG en 2022. En tant que distributeur, nous sommes persuadés de pouvoir contribuer grandement à rendre plus durable le secteur des soins de santé. De plus, nous voulons nous préparer bien à temps au reporting complexe imposé par la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD)", commence Jan Van de Meersch. "Cette législation changeante permet de renforcer toujours plus l’importance de l’ESG au sein des entreprises. D’ailleurs, nos collaborateurs, nos clients et nos investisseurs attendent de nous que nous respections cette législation. Nous le constatons notamment dans le cadre d’appels d’offres lancés par des hôpitaux. Si nous voulons rester un partenaire privilégié à leurs yeux, nous devons rendre notre offre de produits plus respectueuse de l’environnement et communiquer de manière transparente concernant notre politique en matière de durabilité."
Le rôle de Jan Van de Meersch au sein de Duomed a évolué, explique-t-il. "Jusqu’en 2022, j’assurais le rôle de Chief Marketing Officer. En 2023, mon rôle a été élargi pour inclure notre politique de durabilité. Nous avons d’abord dressé l’inventaire de nos besoins, avant d’embaucher de nouveaux collaborateurs. Aujourd’hui, nous employons un responsable ESG dans chacune de nos entreprises et avons également recruté un Corporate Sustainability Officer."
Duomed possède quatorze sites qui, parmi d’autres choses, font chacun eux-mêmes le reporting de leur consommation énergétique. Il s’agit le plus souvent d’acquisitions d’entreprises dotées d’une structure, d’une équipe de gestion et d’un département financier bien à elles. Certaines d’entre elles avaient déjà décroché des certifications et mis en place des systèmes environnementaux, tandis que d’autres n’en étaient encore nulle part. "Jusqu’à présent, nous avons surtout essayé de recenser tout cela de la manière la plus claire possible, et nous avons opéré quelques changements organisationnels pour faire remonter ces informations ", indique Jan Van de Meersch. "Les personnes qui s’en sont chargées ont dû le faire en plus de leurs tâches quotidiennes habituelles. Heureusement, il s’agissait de collaborateurs qui étaient déjà convaincus de l’utilité de l’ESG, et qui ne manquaient donc pas de motivation. Notre défi des années à venir consistera à intégrer notre vision de la durabilité dans notre culture d’entreprise et dans nos décisions stratégiques."
«En tant que distributeur, nous sommes persuadés de pouvoir contribuer grandement à rendre plus durable le secteur des soins de santé. De plus, nous voulons nous préparer bien à temps au reporting complexe imposé par la directive CSRD.
Jan Van de Meersch, Chief Sustainability Officer chez Duomed
Données fragmentées
Dans de nombreuses entreprises, le département financier fait office de moteur pour le reporting de durabilité. Chez Duomed, il joue principalement le rôle de fournisseur de données. Jan Van de Meersch : "Ce département dispose de toutes les factures liées à la consommation énergétique, à la flotte de véhicules, aux déplacements, etc. Il a donc un aperçu clair de toutes ces données. Notre département Corporate Controlling est chargé, à l’échelle du groupe, de consolider ces données, qui sont ensuite transmises à nos investisseurs et à nos banques, car nous avons droit à des réductions sur nos crédits si nous atteignons certains KPI. Le déroulement concret des actions relève de ma responsabilité et de celle de la Sustainability Team."
"Cette approche est de plus en plus courante", intervient Mario Matthys. "Le département financier n’a plus tellement un rôle opérationnel, mais devient le process owner, car il maîtrise déjà des processus comme la collecte, le reporting et la consolidation de données dans le cadre du reporting financier. Pour chaque thème spécifique, les data owners complètent ensuite cela avec leurs données non financières respectives. En fonction de l’analyse de double matérialité, on peut obtenir jusqu’à 1 200 points de données (data points). Et les ressources humaines sont un fournisseur important à ce niveau."
"C’est en effet l’un de nos plus grands défis : le fait que les données sont souvent très fragmentées", complète Jan Van de Meersch. "Notre groupe compte des entreprises employant entre 10 et 300 collaborateurs. En Belgique, nous disposons par exemple d’un département séparé pour la finance, les RH, les opérations, etc. Résultat : un grand nombre de données sont maintenues à jour et prêtes à être transmises. Dans une entreprise plus petite comptant une dizaine de collaborateurs, il n’y a souvent qu’un seul point de contact pour collecter ces données très différentes. Il en résulte un processus qui prend plus de temps et des données incomplètes ou fournies dans un format inadapté. En collaboration avec nos Corporate Controllers, nous examinons comment nous pouvons améliorer les choses à ce niveau et uniformiser nos points de données."
Une politique déjà intégrée
Chez Duomed, l’année 2023 a été consacrée à la mise au point d’une stratégie ESG générale, visant à permettre un reporting à l’échelle du groupe. Cette stratégie vient se greffer aux objectifs de développement durable des Nations unies, et l’entreprise a également souscrit au Pacte mondial de cette organisation. La durabilité est donc devenue l’une des valeurs clés de Duomed. "Le fait que la politique ESG fait partie intégrante de la stratégie d’entreprise est encourageant", déclare Mario Matthys. "De nombreuses entreprises, parfois cotées en bourse, en sont encore loin."
Concrètement, Duomed peut aujourd’hui s’appuyer sur une Sustainability Team, ajoute Jean-Paul Corin. "Il s’agit d’une équipe pluridisciplinaire, comprenant des membres de HR, de la logistique, du marketing, de la finance, et menée par l’un de nos Business Unit Managers. Tous se sentent extrêmement concernés par la durabilité, au niveau tant privé que professionnel. Au niveau du groupe, nous avons aussi embauché un Sustainability Officer. Une étape qui nous a semblé logique à tous. Nos CEO et CFO étaient sur la même longueur d’onde, de même que nos partenaires en capital-investissement, qui considéraient cette décision comme une question de bon sens. Ces derniers le voient aussi comme un investissement. En effet, il ne s’agit pas d’un nouveau vendeur qui apporterait un certain chiffre d’affaires par an. C’est une étape nécessaire, qui se révélera rentable sur le long terme."
Duomed publiera un premier rapport de durabilité condensé en 2024. L’entreprise n’y est pas encore obligée, mais elle choisit de relever d’ores et déjà ce défi. "Il s’agit actuellement d’une tâche pour la Sustainability Team", explique Jan Van de Meersch. "Nous ne voulons pas non plus aller trop vite. Nous pourrions embaucher quatre ou cinq personnes pour renforcer cette équipe, qui auraient toutes de quoi s’occuper. Mais nous restons une entreprise, et nous examinons ce qui est vraiment nécessaire. À partir du moment où le reporting CSRD deviendra réalité, nous devrons faire un choix : recruter davantage ou externaliser ces tâches à un partenaire extérieur."
Effet de levier
Quoi qu’il en soit, les compétences nécessaires pour la mise en place d’une stratégie et d’un reporting ESG réfléchis ne sont pas à la portée de tous. Tous les intervenants s’accordent sur ce point. Mario Matthys cite la capacité à donner l’exemple et à transmettre un feed-back, la proactivité et l’empathie comme étant des compétences indispensables à tout spécialiste de la durabilité qui se respecte. C’est la raison pour laquelle Jan Van de Meersch a suivi plusieurs formations, notamment à la Vlerick Business School. "Cela permet de connaître tous les frameworks qui sont utilisés", indique-t-il. "Mais aussi de réaliser qu’il est difficile de rester au courant de tout, tellement les normes utilisées sont nombreuses."
Pour Jean-Paul Corin, il est surtout important de ne pas embaucher trop rapidement et de manière irréfléchie. "Nous devons encore en apprendre beaucoup sur ce dont nous avons besoin, et sur ce qui est superflu. Cela n’a donc aucun sens de recruter dès maintenant de nouvelles expertises, car il est possible que ces connaissances n’aient déjà plus aucune valeur ajoutée d’ici deux ans. Ce contexte offre justement la possibilité à nos collaborateurs de se bâtir une carrière durable dans le contexte du reporting ESG. Les collaborateurs de la Sustainability Team se sont eux-mêmes portés volontaires pour intégrer cette équipe. En leur permettant d’évoluer dans leur travail et de travailler à un projet qui leur tient à cœur, notre entreprise les rend heureux et fait en sorte qu’ils le restent. Aujourd’hui, la composante ESG vient s’ajouter à leurs tâches existantes sur la base de leur enthousiasme. Notre défi pour l’année à venir sera d’intégrer cette composante à notre entreprise de manière structurelle. Lorsque des responsabilités s’ajoutent, il est utile de se demander si toutes les tâches réalisées par une personne apportent une valeur ajoutée à l’entreprise. Cette remise en question et la mise en place d’un dialogue à ce sujet avec les collaborateurs permettent à ces derniers de contribuer positivement à la société."
Une entreprise qui ne respecte pas la nouvelle réglementation ESG en découvrira vite les inconvénients commerciaux, mais constatera aussi qu’il lui est difficile de recruter de nouveaux talents.
Mario Matthys, Expert Practice Leader Corporate Reporting chez TriFinance
De consolidateur à spécialiste ESG
"Pour mettre au point une stratégie et un reporting ESG solides, il faut donc de la main-d’œuvre. Heureusement, il s’agit souvent justement d’un levier pour attirer de nouveaux talents", se réjouit Mario Matthys. "Une entreprise qui ne respecte pas la nouvelle réglementation ESG en découvrira vite les inconvénients commerciaux, mais constatera aussi qu’il lui est difficile de recruter de nouveaux talents. Les jeunes ne veulent tout simplement plus travailler au sein d’entreprises qui refusent de s’engager dans le domaine de l’ESG. Un client recherchait récemment un ‘consolidateur’, mais n’a littéralement reçu aucune candidature pour ce poste... Jusqu’à ce que quelqu’un ait l’idée de renommer cette fonction en ‘ESG Consultant’. Plusieurs candidats se sont manifestés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire !"
"Nombreux sont aussi nos collaborateurs qui souhaitent rejoindre l’équipe ESG", conclut Jean-Paul Corin. "En tant qu’entreprise médicale, nous avons déjà pour objectif d’avoir un impact positif sur la société, mais l’ESG renforce encore cette idée. Sans oublier que le secteur des soins de santé est aussi l’un des plus polluants. En termes d’émissions et de déchets, par exemple, nos chiffres sont catastrophiques. Raison de plus pour faire réellement de la durabilité une priorité chez Duomed !"
Nous devons encore en apprendre beaucoup sur ce dont nous avons besoin, et sur ce qui est superflu. Ce contexte offre justement la possibilité à nos collaborateurs de se bâtir une carrière durable dans le contexte du reporting ESG.
Jean-Paul Corin, HR Director chez Duomed
Volatil, complexe, ambigu, incertain... Voilà comment on pourrait qualifier le monde dans lequel nous vivons. D’ici cinq ans, les jobs dans le domaine de la finance ne seront plus les mêmes qu’aujourd’hui. Quels changements nos fonctions subiront-elles ? Quels nouveaux rôles apparaîtront et lesquels disparaîtront ? Nul ne le sait à l’heure actuelle.
Mais une chose est sûre : l’avenir appartient aux professionnels de la finance qui sauront accepter ces changements, ne jamais s’arrêter d’enrichir leurs connaissances et oser se réinventer. Mais aussi aux employeurs qui adopteront une approche durable en matière de gestion des talents, qui accompagneront leurs collaborateurs dans le développement de leurs compétences et qui continueront à aligner les besoins de l’entreprise sur ceux de leurs employés.
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